Danser Casa évoque bien sûr Casablanca, où se sont retrouvés nos deux pointures du hip hop nationales que sont Kader Attou et Mourad Merzouki. Voilà bien vingt ans qu’ils n’avaient pas chorégraphié ensemble, même s’ils avaient déjà collaboré pour un projet semblable avec Mekech Mouchkin (Y’a pas de problème en langue arabe). Entre-temps, chacun a développé sa veine créatrice singulière, et tous deux ont été nommés à la tête de Centres chorégraphiques nationaux. Ils se rejoignent autour de ce projet qui a pour ambition de créer une troupe de danseurs marocains.
Issus de parcours hétéroclites et de villes différentes avec, pour point commun, un penchant affirmé pour les battles, ces huit danseurs (une femme, sept hommes), sont fiers d’avoir été choisis parmi 186 hip-hopeurs présents à l’audition. Bourrés d’énergie, chacun d’entre-eux a sa « spécialité » souvent apprise en autodidacte : acrobatie, cirque, popping, locking, parkour, new style house et même danse contemporaine. Le spectacle, imprégné par la ville de Casablanca, est une sorte de voyage à travers les époques et les techniques de cette danse très codée. Mais surtout, Kader et Mourad revisitent, à travers ces danseurs, le chemin qu’ils ont parcouru.
« En ce qui me concerne, explique Mourad, ce projet me touche dans ma chair, car beaucoup de choses sont liées à mon histoire, à ce que ces danseurs sont et représentent ». Quant à Kader, cette création lui fait réaliser « pourquoi nous sommes arrivés dans la danse, et comment elle a représenté pour nous une ouverture et une émancipation ».
Avec ses huit interprètes aussi virtuoses qu’émouvants, une poétique du geste et des corps se déploie, et la danse dépasse le propos pour nous raconter la condition humaine de part et d’autre de la Méditerranée.
PRESS
"Danser Casa, ce sont des retrouvailles joyeuses : celles de Kader Attou et Mourad Merzouki, maîtres chorégraphes du hip hop qui. Vingt ans après leur dernière collaboration, ils se sont lancés dans une aventure singulière avec des jeunes artistes marocains, réunis pour un spectacle éphémère créé en 2018 à Casablanca et qui va encore aller à la rencontre du public durant quelques mois, avant que chacun ne se disperse pour poursuivre son chemin artistique. Sept garçons et une fille sélectionnés parmi 186 candidats, qui depuis la première brûlent les planches et enflamment la scène.
Quand on les voit entrer sur le plateau de la Grande Halle de la Villette, on ressent un grand moment de solitude pour Stella Keys, unique danseuse du groupe. À tort ! La jeune femme n’est pas du genre à s’en laissé conter dans cette débauche d’énergie survitaminée. Pourtant, tout commence en demi-teinte, dans la pénombre où l’on discerne à peine les huit interprètes pieds nus, bermuda et tee-shirt, arpentant la scène en pas chassés comme un exercice d’échauffement. Et de fait, il ne faut se fier à ce calme précaire, simple prélude à un show qui dynamite tout sur son passage.
Kader Attou et Mourad Merzouki ont passé près de deux mois au Maroc pour préparer et peaufiner un spectacle qui se veut un reflet du dynamisme de la jeunesse marocaine. Avec une sélection aussi rigoureuse, les huit interprètes sont des virtuoses, chacune et chacun dans leur style : ça saute, ça tourne, ça vrille dans tous les sens sans trembler. On repère évidemment les standards du hip-hop : la dialectique entre le groupe et l’individu, l’affrontement, le défi. Ces gimmicks du genre sont là mais intégrés dans un spectacle qui est bien autre chose. Kader Attou et Mourad Merzouki ont hissé le hip hop pour en faire un genre majeur, l’écartant du risque de n’être qu’une démonstration virtuose. Danser Casa, c’est ainsi aussi le récit d’une ville et de ses opportunités, ses rencontres, le danger qui peut surgir. Et les deux chorégraphes ont fait appel à Régis Baillet, collaborateur régulier de Kader Attou, pour écrire une musique truffée de références arabo andalouses.
Kader Attou et Mourad Merzouki ont extirpé la danse hip hop de son univers musical attitré pour faire entendre d’autres sons et créer une musicalité différente. Tout cela est à l’œuvre dans Danser Casa qui recèle de moments superbes. Comme ce qui ressemble étrangement à un pas de deux entre deux danseurs qui dépassent l’affrontement initial pour s’apprivoiser, apprivoiser leurs corps et se livrer à une danse à deux, à coup de portés sur-acrobatiques. Mais Danser Casa montre aussi un goût prononcé pour la danse en groupe, tous les huit sur scène même si surgit la tentation de se mettre en avant en gonflant ses biscoteaux ! On perçoit évidemment que la violence fait partie du quotidien de la jeunesse marocaine, qu’elle peut à tout moment frappe, mais la danse est là pour tout sublimer et se dépasser.
Dans un geste final, les interprètes viennent déposer leurs chaussures alignées à l’avant-scène pour un faux au revoir. Sans guère se laisser prier, ils se lancent dans une fausse improvisation, une battle à coup de défis avec force surenchères techniques. Ça pulse à tout berzingue dans une ambiance festive. Danser Casa, définitivement un spectacle joyeux et généreux."
Jean-Frédéric Saumont, Danser Canal Historique